Rire avec Elles Festival d’humour au féminin(2): La Bajon, Aurélia Hascoat et Anne Cangelosi

Mardi 20 mars, 2ème soirée de Rire avec Elles, Festival de l’humour au féminin. Le public se montre nettement plus chaleureux que la veille. Je revois La Bajon et Anne Cangelosi dont j’ai vu les shows. Je découvre Aurélia Hascoat qui, malgré quelques problèmes techniques que le public n’a absolument pas remarqués, a déroulé son texte comme si de rien n’était.

Je vous ai déjà parlé de La Bajon, celle que j’appelle la drôle de fille avec des bretelles et dont j’ai vraiment apprécié le spectacle “Ça va piquer” à La Cible, il y a un mois. La revoir sur scène n’a fait que me conforter dans l’idée que cette humoriste gouailleuse et joyeuse a vraiment sa place dans la cour de récré de l’humour. Sur la scène du Ranelagh, mardi soir, elle a présenté trente minutes de son show sans noir (extinction de la lumière qui permet à l’acteur de faire une transition entre deux sketches, un changement de costume etc…) et cela m’a permis de reconsidérer la façon dont elle tisse subtilement une histoire avec une autre tout en déroulant le fil de sa propre vie. La Bajon assemble mille histoires et la couture est parfaite. Pas de fil de bâti qui dépasse, pas de couture apparente, aucun faux pli. Quand elle tient des propos un rien provocateurs et que le public s’interroge, elle a l’intelligence de le laisser s’interroger et de ne pas immédiatement donner une explication. La Bajon ne commet pas l’erreur de le rassurer ni de tempérer le propos. C’est comme ça qu’on rend le public intelligent.

Un exemple ? Quand elle envoie promener Paul au téléphone ou plutôt Pôle Emploi par cette phrase : “Proposez-le (ce boulot) à des Arabes !”. Les spectateurs attendent et ne rient pas. Il y a dix ans, une phrase comme ça aurait fait se tordre de rire l’assemblée. Si les spectateurs ne rient pas en 2012 ce n’est pas parce que l’antiracisme a progressé mais parce qu’ils ont compris que cette phrase est porteuse d’une explication à venir, que ça ne saurait être gratuit et que La Bajon est trop finaude pour  cela balancer un truc de ce calibre. Finaude, je vous dis. Interprétation parfaite, belle énergie et toujours cette façon d’entraîner le public vers une réflexion sans le lui dire, simplement en lui tendant une main qu’on croit fragile au vu de son parcours mais qui est une véritable poigne.

Bon, un reproche tout de même. Ah ben, oui, sinon, je n’ai qu’à recopier ma chronique du mois dernier !

Quand on a autant d’atouts, il faut éviter certaines facilités langagières surtout lorsqu’elles ont été utilisées jusqu’à l’usure par d’autres humoristes dans la bouche desquels elles sont naturelles. L’expression “dérouler du câble” beaucoup entendue chez Bigard, chez Baffie et présente dans le show de Bernard Mabille au moment où il taille un costard à Carla Bruni est, à mon sens, de trop. Que Bigard l’emploie, c’est logique et parfaitement cohérent avec le reste du lexique bigardien. Idem de Baffie qui a souvent écrit pour Bigard (notamment le sketch Le lâcher de salopes qu’il a co-signé). Mabille est un homme d’âge mûr qui peut s’autoriser cette incursion sur ce terrain parce qu’il noie cette remarque au milieu de mille autres et que ça n’est pas celle qu’on retiendra de lui. Mais qu’une jeune femme sympa, moderne, jolie de surcroît se mette cette expression en bouche…Grrrrr. La Bajon et son co-auteur Martin Darondeau ont suffisamment d’imagination et de style pour trouver une formule bien à eux que d’autres humoristes auront très vite envie de récupérer.

Ah, dérouler du câble ! Entre nous, je crains qu’il n’y ait plus grand chose à dérouler puisqu’il paraît que les pénis ont rétréci…Oui, oui !  Tant mieux pour cette expression qui, du coup, deviendra désuète; tant pis pour ceux et celles qui s’en étaient fait une spécialité !

Je ne connaissais pas Aurelia Hascoat et l’ai donc découverte hier soir dans trente minutes d’extraits de Aurelia in the city. J’ai peu goûté la façon dont elle s’est adressée à une spectatrice, Claire de son prénom, dont elle s’est servie pour lancer son sketch sur Paris et les Parisiens. Se moquer du public ne  fonctionne que si on le fait avec tendresse et humour. J’ai souri à sa description réaliste du métro parisien tout en pensant qu’elle pouvait et devait aller plus loin. J’ai souri en apprenant comment tenir la barre quand on n’a pas (sic) “le pied ferroviaire”. Mais sur un sujet aussi facile, évident, immédiat et clivant (le métro ne circule que dans les très grandes métropoles), il faut être plus pointue, plus surprenante, peut-être prendre le risque d’être de mauvaise foi et de basculer dans l’absurde. Le voyage  d’Aurélia Hascoat avec la RATP m’a bizarrement rappelé un séjour à New York. La première fois que j’ai pris le métro dans la Big Apple, j’avais dit aux amis américains qui me faisaient découvrir leur city : “A Paris, quand on prend le métro à 7h30 on ne sait pas bien si les gens sentent déjà la transpiration ou encore la transpiration ! Ici, à New York, à 7h30, ça sent le shampooing, le gel douche et le parfum mais un parfum posé sur le grain d’une peau douchée, pas l’eau de toilette cheap déversée pour masquer de douteuses et persistantes odeurs corporelles”. Alors merci, Aurélia de m’avoir fait revivre ces jours tranquilles passés outre-Atlantique.

Quand elle saisit ces odeurs qui varient selon les lignes qu’on emprunte, Aurélia Hascoat fait de la sociologie comme Monsieur Jourdain de la prose. Sans le savoir. Sans l’annoncer, elle dessine une sorte de cartographie olfactive et sociale de Paris. En quittant le théâtre hier soir, je me suis dit que si la station Ranelagh où se trouve le Théâtre du même nom ne sent pas du tout le McDo, il est d’autres stations dont on pourrait croire qu’elles sont les cuisines de l’enseigne de restauration rapide américaine. Arrivée chez moi, je me suis réjouie d’habiter à une station où ces odeurs ne stationnent pas. Mine de rien c’est un Paris souterrain au sens social du terme qu’Aurélia Hascoat nous fait découvrir, celui des pauvres et celui des riches qui ne font que se croiser sans vraiment se rencontrer. C’est peut-être dans ce sens-là qu’elle aurait dû forer afin d’éviter de ne rester qu’en surface… tel  le métro aérien.

Aurélia et son Titi-shirt parisien...

Délaissant le métro, Aurélia Hascoat  invite à découvrir les petits boulots qu’elle a exercés. C’est vivant parce que c’est sincère, c’est sincère parce que vécu et ça lui permet au passage de s’interroger sur le sens de l’expression “avoir la gueule de l’emploi”. Mais là encore, l’artiste peine à scotcher le public car ses textes manquent de relief, on tourne autour de la question du travail des jeunes, des jobs de stagiaires sans fin… sans que jamais une proposition comique ou critique ne soit faite. Le public semble avoir davantage aimé son décryptage de la série Les Experts à Miami, Manhattan… et Porte de Clignancourt dans sa version française. C’est  sympa, léger mais ce n’est qu’une simple description linéaire de ce qui se passe ou ne se passe pas. On peine à décoller du premier degré…Dommage, car la façon dont Aurélia Hascoat mime l’autopsie sur le générique des Who était pourtant très réussie. Dernière observation et non des moindres. Il faudrait veiller à se défaire d’expressions qui ont fait le succès d’autres humoristes. “Etre coiffé comme un dessous de bras” est, me semble-t-il, une réplique de Michel Blanc soit dans Les Bronzés soit dans Marche à l’ombre. Alors oui, on gagne quelques rires auprès de ceux qui ne connaissent pas cette réplique mais on devient paresseux. Inventez-vous des formules qui feront mouche et n’empruntez celles des autres que pour les revisiter ou rendre hommage à leurs auteurs !

Anne Cangelosi et sa Mémé Casse-bonbons qu’elle appelle parfois Mémé Phine (diminutif de Joséphine) a démarré doucement pour finalement recueillir quelques bonnes salves d’applaudissements. Le public l’a applaudie  notamment lorsqu’elle  s’est lancée dans la narration des épisodes d’Amour,Gloire et Beauté, soap de France 2 auquel elle est accro;  et lorsqu’elle a évoqué sa nuit de noces avec son mari Zacharie “qui avait de gros besoins et lui est monté neuf fois dessus”.

C’est en hommage à sa grand-mère qu’Anne Cangelosi comédienne et professeur à l’Ecole du One-man-show à Paris, a repris l’écriture de ce show amorcée vingt ans plus tôt. Sur le papier l’idée est sympathique et le portrait attrayant. Jugez plutôt : “Elle a 84 ans mais elle en paraît 83. Elle ne se rase plus depuis qu’elle a couché avec un allemand. Elle vend des sextoys comme on vend des Tupperware. Elle a enterré son mari et fait empailler son chien…ou l’inverse. Elle aime le Porto et fume des Gitanes maïs. Elle ne se remet pas d’avoir raté le 4 288ème épisode d’Amour, Gloire et Beauté”. Voila pour la description du rôle. Et quand on rencontre Anne Cangelosi, la présentation qu’elle fait de Mémé Phine et surtout les intentions qu’elle place dans son personnage sont puissantes. Ecrire à travers l’histoire d’une femme, celles de nombreuses femmes que la guerre en particulier et la vie en général ont peu épargnées. Des femmes qui se sont relevées malgré tout, des femmes debout dirait Ségolène Royal. Hélas, une fois sur scène, Anne Cangelosi oublie la plupart de ses promesses et l’écriture n’est pas au  diapason des ses intentions. Pour des raisons qui m’échappent, Anne Cangelosi  plonge trop souvent dans la facilité et la vulgarité. Pourquoi interpeller à quatre reprises un spectateur en disant: “Hein, mon pédé !”. Ça a fait rire, mais c’est paresseux et n’apporte rien à l’histoire. Pourquoi faire dire à Mémé Phine: “Je m’appelle Joséphine Troux, il y a plusieurs Troux mais le nôtre est propre !”. Doit-on rappeler que le mot trou au pluriel prend un S et non un X ?  Et que le fait de prononcer le X invalide la petite vanne qu’elle prétend faire. Dire d’une femme que ses seins pendent jusqu’à la cave, qu’il faut les soulever pour les laver et qu’ils sont tellement longs qu’on peut s’en faire un tour de cou… stop !

J’avais pourtant bien aimé l’accent de Phine, son vocabulaire emprunté au patrimoine lexical marseillais (gros dounasse et gros doubasse qui désignent le nez et le pénis, les taraïettes, l’embourligue et la pachole… pour la traduction, il faut la voir sur scène!), l’enthousiasme d’Anne Cangelosi, fine connaisseuse du travail de Zouc… mais il y a des choses qui ne passent pas. Un exemple ?  “J’avais le Q tellement serré de peur qu’il n’y passait pas une olive !”.  Et  j’ai eu l’impression qu’un Bigard fatigué s’était déguisé en vieille dame au moment où, évoquant sa première et dernière (sic) “turlute”, Mémé Phine a senti les pieds paquets avalés quelques heures plus tôt remonter vers la sortie.

Anne Cangelosi au naturel

J’attendais de cette  Mémé Phine un regard fin sur l’époque…elle n’en a retenu que les sextoys pour “s’amuser la fauvette”. Et quand dans l’intégralité du show (programmé au Bout, les dimanches à 17h) elle parle de FaceBook, c’est ni plus ni moins la vision simpliste qu’en donne  la comédienne Mathilde Seignier réfractaire à l’Internet et aux réseaux sociaux : manquent un point de vue et une véritable réflexion. Bref, rien de fort, rien de fin, rien de puissant. La faute a une écriture encore trop fragile qui mériterait d’être boostée par un auteur. En revanche, Anne Cangelosi est très subtile quand elle  joue l’émotion et montre combien elle est bonne comédienne. La nuit d’amour entre Phine et Gunter, l’officier allemand est troublante de vérité (“Je suis patriote mais je n’ai pas pu résister”) même si elle n’appelle pas à rire et sert de pause dans le déroulement d’un texte assez dense. Idem d’un passage (qu’elle n’a pas joué mardi) où Mémé Phine parle du désamour de sa mère pour elle.

En conclusion, ça n’est pas ce que je préfère comme humour et il me semble que sur les 30 minutes proposées, il y a facilement dix minutes de trop. Idem pour le show intégral qui serait parfait sur 45 minutes. C’est dommage car Mémé Phine est un vrai personnage et qu’elle pourrait faire un malheur sur la scène du one-man-and-woman-show qui s’est laissée séduire par la vague du stand-up mais reviendra plus vite qu’on le croit aux sketches et aux personnages. C’est dommage car Anne Cangelosi est sincère.

Ah dernière chose: il n’y a pas de sextoys à la page 462 de mon catalogue des Trois Suisses mais des soutiens-gorges. Peut-être se trouvent-ils dans la version grand format, moi je n’ai que la version pocket édition automne-hiver 2011-2012 en couverture de laquelle posent Julie Depardieu et Judith Godrèche.

Ce contenu a été publié dans Non classé, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

deux × cinq =