Victim of beauty, c’est la série de photos publiées sur 12, site bulgare consacré à la mode, à l’origine de la polémique qui embrase la blogosphère depuis quelques jours. En cause ? Des photos chic de femmes victimes des pires chocs. Moi qui peux rire d’un rien, ça ne m’a pas fait rire du tout !
“Déconseillé aux moins de 16 ans. Ames sensibles s’abstenir”, indique la légende qui accompagne ces photos de femmes victimes de violence, dont le glamour et l’esthétisme banalisent l’affront qui leur est fait. Shootées (le mot prend tout son sens) par le photographe Vasil Germanov, ces femmes, mannequins professionnels, livrent, malgré elles, un message qui n’est pas celui de la condamnation des violences (1) qu’elles ont subies mais peut-être celui de leur promotion.
Pas de distance, hélas, c’est là qu’est l’os et l’outrage. Le make-up impeccable, réalisé par Daniela Avramova, met en lumière un œil au beurre noir qui a vu des jours meilleurs, les marques d’une tentative d’égorgement, ici, un nez, là une lèvre méchamment balafrés, un profil brûlé à l’acide…Qu’on puisse tout photographier ne me gêne pas, au contraire ! Au nom de la liberté d’expression, on a par le fait de l’art, depuis des siècles, déjà tout (d)écrit. Comme dirait Léa, une élève de Première à qui j’ai conseillé quelques lectures : “Lautréamont, c’est gore ! Sade c’est trop bizarre ! Mais c’est puissant, en même temps !”
Ce qui me heurte c’est l’absence de contextualisation, le non-accompagnement de ces photos qui se trompent de message. Livrées ainsi ne risquent-elles pas d’avoir le même effet que les films pornos sur certains ados qui ont une vision déformée des relations sexuelles, de la virilité et de la féminité ?
Je ne suis pas la seule à m’en émouvoir. Aux Etats-Unis, Jezebel, Fashionista, blogs féminins ont condamné cette mise en scène de la violence; ici, Le Monde s’en est fait l’écho le week-end dernier dans l’article de Claire Guillot “Photos de mode : le coup de trop“. Malgré cela, la rédaction bulgare de 12 par les voix de ses rédacteurs en chefs Huben Hubenov and Slav Anastasov se félicite d’avoir “provoqué un débat à l’échelle internationale”, se défend “d’encourager la violence” et se réjouit d’initier une réflexion au nom de “la photo de mode qui est une imitation de la vie”. Vraiment ?
Chaque fois que je pose la question dans ce blog de la possibilité de rire de tout, on me répond parfois et à juste titre que la question n’est pas l’objet du rire mais la façon dont on le traite. L’illustrateur Michel Kichka (Cartoon for Peace) que j’ai rencontré récemment a publié Deuxième génération (Ed. Dargaud), un roman graphique formidable où il met en place avec humour, tact, élégance “un humour de la Shoah”. Ce n’est pas l’objet qui pose question mais son traitement…Je dirais la même chose de la photo. Scénariser une certaine violence glamourisée, Steven Meisel et avant lui Helmut Newton et Guy Bourdin l’ont fait, mais c’était avec plus de distance, de maîtrise et peut-être encore plus d’ironie. Pour eux, ça n’était pas la photo de mode qui imitait la vie mais peut-être le contraire…C’étaient surtout des hommes qui, derrière leur objectif, réfléchissaient (à) la vie avant même de songer à la refléter.
(1) Sur la question des violences conjugales, je recommande la lecture de Frapper n’est pas aimer (Denoël) de Natacha Henry, auteur qui s’interroge sur “la permanence du sexisme dans la culture populaire et les medias” ainsi que sur “le désarmement des violences” et dont on peut consulter le travail sur le site Gender Company.