Elisabeth Buffet: “J’ai transformé ma timidité en audace par peur de ne pas exister”

Elisabeth Buffet  est la plus crue des humoristes femmes. Elle l’assume au risque d’être apparentée à Bigard. A tort. Car si elle parle souvent de sexe, Elisabeth Buffet parle surtout de solitude et de quête du grand amour. Alors qu’elle poursuit sa tournée, le DVD de son show à La Cigale sort enfin, un vrai régal ! Leblogfemmequirit l’a interviewée pour évoquer cet objet qui couronne sept ans de travail.

"J'aime la grossièreté, j'ai un amour du mot cru mais vrai"

J’adore Elisabeth Buffet ! De cette adoration dont on couvre et encombre ceux qu’on a commencé par mal aimer. J’avoue, j’avais un a priori négatif envers cette humoriste dont je ne connaissais pourtant que quelques secondes du sketch sur l’épilation. Dès que j’entendais son nom, je répétais inmanquablement: «Pas cette fille qui avance les jambes écartées comme si elle avait passé la nuit sur un char d’assaut, quelle horreur !». Le pire, c’est que je n’avais pas vu Elisabeth Buffet sur scène et que j’aurais été infichue de citer l’un de ses sketches. Mais il est vrai que sa façon de marcher courbée, la main plaquée sur les lombaires et le visage grimaçant de douleur comme un pruneau oublié au fond du paquet pouvait prêter à confusion. Une confusion que certains ont cru bon de cultiver d’ailleurs…

La voyant ainsi arriver dans une de ses émissions de télé en 2007, Patrick Sébastien avait tenu à rassurer Dave, son invité qui n’en demandait pas tant : «Elle a des petits problèmes pour marcher…Non, c’est pas c’que tu crois». Ce à quoi Dave, prudent, avait répondu : «J’y connais rien». C’en était fait pour moi d’Elisabeth Buffet !  Cette fille allait me chanter l’air de la sodomie fa-sol-la-si-do, facile la sodomie dans le dos-ré-mi… No way ! La faute aussi à Pierre Bénichou (dont l’humour n’a souvent d’égal que la mauvaise foi) qui avait un peu malmené «cette fille blonde, disait-il, plutôt pas mal» un après-midi, dans l’émission de Laurent Ruquier sur Europe 1, citant lui aussi ce sketch de l’épilation. La fausse surprise de Sébastien ajoutée à la déception de Bénichou et mon manque patent de curiosité…voilà comment on peut passer à côté d’un talent.

Et puis un beau jour ou peut-être une nuit, j’ai regardé le DVD Elisabeth Buffet à La Cigale. Et je dois l’avouer, je me suis régalée. Du coup, j’ai appelé Elisabeth Buffet pour lui dire combien je l’appréciais.

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                                                “Ce que je joue n’est pas très éloigné de ce que je vis”       

Leblogfemmequirit: Votre show fait un tabac, beaucoup de femmes le plébiscitent et affirment qu’il est très féminin. Pensez-vous que l’humour a un genre ?

Elisabeth Buffet : Pour l’instant, oui. En ce moment, on assiste à une libération de la parole des femmes qui font beaucoup dans l’aurodérision. Elles se démarquent des hommes en traitant des thèmes beaucoup plus originaux que les leurs. Beaucoup d’hommes restent sur des histoires de boîtes de nuit, de boudins…Les humoristes hommes se sont laissés distancer par les femmes mais je ne désespère pas de les voir revenir.

LBFQR: En quoi votre show est-il «très féminin» ?

E.B: Je pense que ça tient évidemment aux thèmes mais pas uniquement. L’épilation n’est pas qu’une préoccupation féminine puisque les cyclistes, les nageurs, pas mal d’hommes doivent se raser le corps. Ce qui est féminin, ce n’est pas le sujet choisi mais l’angle d’attaque, le regard. Et  la façon dont ce personnage féminin, moi en l’occurrence, livre ces histoires. Les buveurs d’eau  n’est pas un sujet qui est sexué, ce qui l’est c’est la manière dont on l’écrit, le point de vue et la sensibilité avec laquelle on va filer la métaphore, décaler, provoquer aussi car on ne s’attend pas à ce qu’une femme aime autant l’alcool.

"J'ai nourri ce spectacle de mes foirades et de mes histoires festives"

LBFQR: Il y a de plus en plus de femmes humoristes mais elles peinent à séduire autant les medias que leurs confrères. Y a-t-il des a priori à leur égard ?

E.B: La rareté peut aussi être un avantage. Quand j’ai commencé, c’était un atout pour les organisateurs de festivals qui engageaient des femmes pour équilibrer leurs plateaux. Etre une femme était une différence appréciable. Les femmes étaient peut-être moins visibles mais elles attendaient le bon moment et il y en plein qui vont émerger.

LBFQR: Quels humoristes vous ont donné envie de faire de la scène ?

E. Buffet : Muriel Robin, évidemment, parce qu’elle a tout bouleversé ! Il y a chez Robin une énergie qui a mis une énorme claque au one-woman-show. Elle maîtrise l’art de la vanne très efficace portée par une énergie incroyable. J’aime beaucoup Sylvie Joly, plus discrète, toute en subtilité. J’adorais Jacqueline Maillan bien que Maillan n’ait pas fait de one-man-show.

LBFQR: Qu’est-ce qui vous fait rire aujourd’hui ?

E.B: Friends, Kaamelott où il y a un vrai travail d’écriture et de jeu. Foresti, évidemment ! J’aime beaucoup Denis Maréchal. Il y a chez lui beaucoup d’élégance et c’est assez rare.

LBFQR: Comment écrivez-vous vos sketches?

E.B : Je parle souvent de choses qui m’arrivent. Ça peut être pathétique sur le moment mais transformé en sketch, ça devient drôle. Le processus de création diffère selon le sketch. Celui sur l’épilation, que je joue depuis 2004, est venu un soir en allant me coucher. Je ne cessais de rallumer la lumière pour prendre des notes. J’ai une écriture sur laquelle je passe et repasse. Ça aboutit à de la grosse gaudriole mais en amont il y a beaucoup de travail. J’aime travailler les métaphores, surprendre, décaler.

LBFQR: Vous rappelez-vous votre premier sketch ?

E.B : C’était une petite annonce. A l’époque, je m’étais inscrite sur Meetic et ce qui me rebutait c’était d’écrire une fiche. Etre réduite à ça me paraissait compliqué et donc susceptible de générer une situation comique. Je l’ai retiré car c’est un peu désuet maintenant.

LBFQR : Qui vous a détectée et permis de lancer votre carrière ?

E.B: En 2004, je jouais mon spectacle une fois par semaine au café Koçona dans le 20ème arrondissement de Paris. Je jouais dans le bruit du percolateur et les voix des pochetrons. C’est là dans ce boui-boui infame que Gérard Sibelle, alors Directeur du Développement chez Juste pour Rire est venu me voir une fois, deux fois… X fois et qu’il a convaincu d’autres gens de venir. C’est le bon génie qui a fait bouger les choses.

LBFQR: Avez-vous galéré pour devenir une humoriste reconnue ?

E.B: Non, ça va lentement mais sûrement. Je n’ai pas eu à toquer aux portes et j’ai toujours joué.

LBFQR: Vous avez installé ce personnage de quadra décomplexée qui picole, s’éclate avec des p’tits jeunes, des vieux ou encore un sextoy. Ça fonctionne et ça fait votre succès. Ne craignez-vous pas de devenir prisonnière de ce rôle au point d’être obligée de le conserver dans votre prochain show ?

E.B: Ça ne m’embête pas car c’est toujours moi. Si je jouais un personnage très éloigné de moi comme Les Vamps l’ont fait, ce serait gênant. Ce que je joue n’est pas si éloigné de ce que je vis. J’ai nourri ce spectacle de mes échecs, mes foirades, mes histoires festives…il n’y a pas de schizophrénie.

LBFQR: Comment définiriez-vous ce personnage de célibataire ?

E.B: Cette femme célibataire a un côté rentre-dedans et maladroit. Elle est aussi optimiste et remet toujours son ouvrage sur le métier en pensant que le prochain homme sera le bon.

LBFQR : Quelles limites fixez-vous à votre personnage ?

E.B: Je n’ai pas de limites si ce n’est que je ne maîtrise pas la politique. On peut rire de tout si ce n’est pas gratuit et qu’il y a quelque chose à dire.

"Derrière la grosse gaudriole, il y a beaucoup de travail"


LBFQR : Vous l’avez aussi glamourisé ce personnage. A vos débuts, vous aviez un carré blond, vous portiez un pantalon gris patte d’eph, des boots pointues et un pull parme décolleté…un look assez banal et vous êtes beaucoup plus sexy aujourdhui.

E.B: On s’est beaucoup interrogés là-dessus. Pour moi, au départ le plus important c’étaient le contenu et le jeu. Mes producteurs et l’attachée de presse m’ont convaincue. On a travaillé autour d’une image la plus élégante possible en décalage avec le côté cru du texte.

LBFQR: On lit souvent que vous êtes Bigard au féminin. Il faut dire qu’à une époque Bigard “s’affichait” en slip en promettant de “mettre le paquet” et que votre show s’est d’abord appelé “Elisabeth Buffet seule dans sa culotte” et qu’il parle aussi pas mal de sexe. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

E.B: Je comprends qu’on ait pu faire ce genre de rapprochement car je n’étais pas connue. A part ce raccourci pratique, la comparaison n’est pas justifiée. Bigard a un côté macho, au-delà de son talent, qui m’embête. Dans le côté Q, je suis plus proche de Frédéric Dard et San Antonio que j’ai dévorés quand j’étais plus jeune. Il n’y a pas de cynisme dans ce que je fais, mon personnage est humain et sentimental. Evidemment, j’appelle un chat un chat ! Je suis rentre dedans, j’aime bien la grossièreté comme un gosse, le côté caca-pipi. J’aime les mots et leur sonorité. J’ai un amour du mot cru mais vrai, j’aime que ça résonne ! Ça sent le vécu et c’est d’une grande sincérité.

"Il n'y a pas de cynisme dans ce que je fais, mon personnage est humain et sentimental"


LBFQR: D’où vous vient cette audace ?

E.B: C’est le lot des grands timides. Enfant, jétais très sage, j’étais la bonne élève, toute de raison. Jamais je n’aurais pu prononcer des mots comme «crotte» à table. J’ai transformé ma timidité en audace sans doute par peur de ne pas exister. Je voulais faire du théâtre, mes parents ont dit niet ! Alors j’ai fait des études de commerce à l’Ecole des Cadres et toutes ces histoires que je raconte sur scène aujourd’hui, je les ai longtemps réservées à mes amis.

LBFQR: Vous avez grandi à Versailles dans un milieu bourgeois, qu’a pensé votre famille de votre personnage de femme qui ose tout ?

E.B : Au début, il y a eu beaucoup de réticence, mes parents ne voulant pas que j’embrasse ce métier. Et puis ils ont vu le plaisir que je ressentais à être sur scène. Ma mère, qui est venue me voir dès le début, répète : «J’ai bien ri mais qu’est-ce que c’est osé !». Beaucoup de gens de ma famille sont très prout prout et ma mère a eu peur que passe pour une prostituée versaillaise. J’ai eu une éducation plutôt stricte. J’étais une gamine très bordée, aujourd’hui je me lâche !

                  “Monter sur scène m’a apaisée au point que j’ai moins peur de la vie et de la mort”

LBFQR: Qu’avez-vous appris sur vous-même à travers cette tournée ?

E.B: C’est un métier qui vous renvoie toujours à vous. On y met ses tripes. Monter sur scène m’a donné beaucoup plus de confiance, ça m’a apaisée au point que j’ai moins peur de la vie et de la mort. Bon, ça génère aussi d’autres angoisses : je suis bien à ma place mais comment y rester ? Comment évoluer? Comment me renouveler et durer. Je suis sur scène depuis sept ans mais c’est mon premier spectacle.

LBFQR : Quand jouerez-vous un second spectacle ?

E.B.: Je commence à l’écrire et forcément on m’attend au tournant. Moi-même je m’attends au tournant. Mon producteur dit qu’il faut qu’il soit au moins aussi bien. Il faut surtout que j’arrive à me débarrasser de cette pression. J’ai tellement envie de me concentrer que je vais devenir un peu autiste. Je procrastine un peu, je suis lente au démarrage. Je suis une artiste heureuse, même si j’ai beaucoup d’angoisses.

LBFQR : Quelle est votre vie en dehors de la scène ?

E.B: Avant, je lisais beaucoup, j’allais au ciné… mais la scène, c’est prenant, ça oblige à se tourner vers soi. J’écris mon prochain spectacle et j’ai l’impression qu’on ne se tourne que vers soi. Le dernier livre que j’ai lu c’est La part de l’autre d’Eric-Emmanuel Schmitt. Le cinéma ? Je n’ai toujours pas vu The Artist! Je suis une bonne vivante. J’aime sortir m’amuser et ça n’est pas évident quand on est sur scène le lendemain. Je suis d’une nature festive et j’aime bien déconner. J’aime boire des coups : vin blanc et champagne quand je suis sage; vodka-Redbull quand je balance du côté obscur. J’aime écouter et chanter Delpech, Sheila, Dalida, Abba… avec mes amis. Les amis, c’est très important pour moi.

LBFQR: Quand vous buvez, vous ne faites pas semblant ! Pendant le sketch Les buveurs d’eau, vous décapsulez une bouteille de bière que vous avalez cul-sec. C’est assez inattendu ! Vous la descendez comme ça tous les soirs ?

E.B: Oh lala, oui ! Mais il y a des soirs où je zappe le sketch des buveurs d’eau, parce que j’ai fait la fête la veille et que ça n’est juste pas envisageable. J’arrive au théâtre et je préviens le technicien que je ne le jouerai pas !

LBFQR : Quelle hygiène de vie vous êtes vous fixée pour jouer tous les soirs ?

E.B: Je me suis remise au sport car j’ai une vie de patachon. Je fais un peu de cardio en salle. Il faut tout le temps se surveiller alors que j’aime bien manger et m’amuser. J’ai un côté franchouillard, j’aime la blanquette de veau, le bœuf-miroton, les plats qui mijotent. Moi, il me faut l’entrée, le plat et le dessert ! Hier, je suis allée au Salon du fromage, on s’est gavés de fromage ! Comment se priver de ça ? Alors, l’hygiène de vie…c’est d’abord d’être bien dans sa tête !

LBFQR : Avez-vous le sentiment qu’en étant tous le soirs en tournée, on sacrifie sa vie privée ?

E.B: Non, pour moi, c’est plus de satisfaction que de sacrifice. Je suis seule et sans enfant, j’adore être une nomade, rencontrer plein de gens. Bon, mes amis me manquent mais je n’ai pas de sensation de sacrifice. Je passe de bonnes soirées avec l’équipe, les techniciens… on n’est jamais seul en tournée !

LBFQR: Envisagez-vous de développer à l’écran votre personnage comme l’ont fait certains humoristes ?

E.B: Je planche sur des choses mais la scène et le cinéma sont des métiers différents. Je ne suis peut-être pas capable… Au cinéma, j’aime Sautet, Truffaut, le bon cinéma, je ne veux pas faire un truc potache. J’aime trop ce métier pour faire les choses à la légère. Ça me fait penser aux fromagers que j’ai rencontrés hier au Salon du fromage. Ces artisans manifestent beaucoup d’amour et de respect pour leur métier, ils sont soucieux de produire un travail de qualité. On rencontre dans mon métier moins de gens qui témoignent d’une telle foi et d’une telle conviction.
LBFQR : A quoi rêvez-vous aujourd’hui ?

E.B: J’aimerais mettre les deux pieds dans le métier, asseoir cette popularité naissante, jouer la comédie avec des gens, ça me manque de ne pas avoir de partenaires. J’ai aussi envie de cinéma.(Ndlr/ Elisabeth Buffet est depuis le 7 mars à l’affiche de Nos plus belles vacances de Philippe Lellouche)

DVD Elisabeth Buffet à La Cigale (M6 Vidéo). Et en tournée le 6 avril à Nantes(44), le 12 avril à l’Espace Julien, Marseille(13) et le 9 mai à Bordeaux(33). Voir les autres dates sur son site : www.elisabeth-buffet.fr

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