Rire avec Elles Festival d’humour au féminin(1):Marie Christophe, Les Sœurs Z’Ennemies, Emilie Deletrez.

Le Théâtre du Ranelagh lançait hier la première édition de Rire avec Elles, Festival d’humour au féminin parrainé par Alex Lutz et animé par Léa Lando. On a pu découvrir dans trois registres différents Marie Christophe, Les Sœurs Z’ennemies et Emilie Deletrez. Leblogfemmequirit y était et a découvert une Carotte, deux sœurs et une bombe.

Programmé toute la semaine du 19 mars au 23 mars à 20 heures avec une remise de prix le samedi 24 mars, Rire avec Elles présente 15 humoristes femmes âgées de 20 à 45 ans qui deviendront peut-être les grandes figures de l’humour de demain. Chaque soir, sur la scène du très chic Théâtre du Ranelagh, situé dans le 16ème arrondissement de Paris, trois artistes, comédiennes de formation pour la plupart, interprètent trente minutes de leur show devant un premier jury de professionnels (directeur de festival, responsable d’acquisition de programmes pour des chaînes de télé, auteurs-compositeurs etc..), un second jury composé de dix lectrices du mensuel BiBa; et bien sûr, des spectateurs avides de découvrir les petites sœurs et futures rivales de Muriel Robin, Florence Foresti ou Elisabeth Buffet.

Marie Christophe

Marie Christophe  a ouvert le feu lundi soir avec un sketch écolo intitulé Sauvez la planète dont l’introduction était plutôt marrante. La comédienne, originaire de Nancy, dont j’ai déjà commenté le travail dans ce blog, arrive sur scène dans le noir en précisant que seuls des applaudissements déclencheront  la lumière. Malin ! Suivront  quatre autres sketches dont Vas-y rends-le-moi !, où une jeune voleuse  de mascara qui déteste “sortir les yeux à poil” justifie son geste, L’Enterrement de l’orthographe, un texte qui révèle l’amour que porte son auteur à la langue, une sorte de Défense et Illustration du français par Marie Christophe; puis Révolution dans le frigo, le sketch de la carotte qui peste contre le bio, et Pas de panique (maudits Français!) où une Québécoise s’amuse de notre réaction timorée face à une météo plus neigeuse que d’habitude. Comme toujours chez Marie Christophe, l’écriture est fine et les jeux de mots recherchés (“l’orthograhe avec son fe qui s’écrit PH, on sent bien qu’elle est acide”, “manger 5 fruits et légumes par jour, heu, les fraises Tagada, ça compte ?”). Il y a souvent de belles idées auxquelles hélas Marie Christophe peine à donner corps et vie. Elle maîtrise son texte mais quelque chose lui échappe : la présence sur scène qui se nourrit à la fois du plaisir de partager et de la conviction qu’on a quelque chose à offrir. Il ne suffit pas de posséder son texte il faut en être possédée, au sens quasi démoniaque du terme. Un exercice dans lequel excelle Emilie Deletrez dont je parlerai plus loin. Les textes de Marie Christophe parfois trop écrits me rappellent les meilleures chroniques de magazines féminins: intelligents, légers, bien tournés mais oubliés aussitôt lus. Résultat : on sourit plus qu’on ne rit et on n’emporte avec soi aucun des personnages qu’elle campe…à part peut-être la petite Carotte, mignonne à souhait. Il manque à cette  jeune femme pleine de bon sens et d’imagination un metteur en scène. Il manque à cette jolie Carotte (Marie Christophe est longue, mince et rousse comme le légume à qui elle donne la parole) un fertilisant. Avis aux amateurs…

Programmées juste après Marie Christophe, Les Sœurs Z’Ennemies ont offert une belle transition entre l’univers un rien poétique de Marie et celui burlesque et fantaisiste d’Emilie Deletrez. Filles d’André Gaillard, auteur et humoriste du duo Les Frères Ennemis qu’il forma avec Teddy Vrignault il y a cinquante ans, Silvia et Aurélie Gaillard ont repris les textes désopilants de ce tandem. Repris mais aussi réadapté afin de séduire un nouveau public.

De La cousine Germaine  aux Croisés en passant par Le Téléphone ou Les Fantômes…Les Sœurs Z’Ennemies ont présenté une demi-douzaine de sketches sertis de bons mots et surtout balancés avec un sens du rythme dont certains stand-upeurs feraient bien de s’inspirer. Chaque parole fait mouche. Chaque bon mot ricoche sur un autre faisant oublier le précédent comme si le meilleur était toujours à venir. Ce qui est toujours certain quand on taquine l’absurde. C’est du ping pong nourri au coq à l’âne. De la joute oratoire stylée, l’ancêtre des “battles”. Ça date mais ça n’est pas daté. C’est peut-être ça le style !

Alors évidemment, on pourra reprocher aux Sœurs Z’Ennemies de faire fructifier un patrimoine dont elles ne sont pas à l’origine. Un peu comme si Marius Colucci (le savoureux inspecteur Emile Lampion de la série Les petits meurtres d’Agatha Christie, sur France 2) reprenait les sketches de Coluche, son père. Oui, mais Les Sœurs savent y mettre leur grain de folie, leurs talents d’interprètes et tout cela va bien au-delà du simple héritage. Voilà des filles qu’on aimerait entendre à la radio et voir à la télé plus souvent! Si, comme la rumeur a couru, Omar et Fred avaient la mauvaise idée d’arrêter le SAV sur Canal +, eh bien, ce serait une très bonne idée de ne pas résilier totalement la ligne et d’en confier le standard à ces deux étonnantes Sœurs Z’Ennemies. Allez, on ne résiste pas à l’envie de citer quelques phrases du sketch Le Téléphone :

– Allo Iseult? Ici Tristan, je t’invite à prendre un café. Tu veux un express? – Non, un philtre.

– Allo Daphnis? C’est Chloé. – Et ça tient?

– Allo Gulliver? Ici Lilliput. – Bonjour Madame!

– Allo maman? Ici Jésus. – Non! – Mais si!

Le meilleur de la soirée, c’est Emilie Deletrez qui nous l’a livré avec trois sketches d’un humour savoureux et d’une efficacité redoutable !  Extraits de son show L’art (in)délicat de la féminité qui tourne en ce moment dans le Nord, cette fille très habitée vampe la scène comme personne. Une sorte de bombe  qui balaie tout sur son passage. Elle sait non seulement construire des personnages mais les installer et les faire vivre au point de les ancrer profondément dans notre mémoire. Le premier talent d’Emilie Deletrez c’est que ses personnages (se) rient d’eux-mêmes. Charlot et Zavatta ne sont pas loin. Jetez un œil à l’affiche de son spectacle et vous comprendrez aussitôt qu’Emilie elle-même se rit d’elle, qu’elle ose même comme la Castafiore, rire de se voir si beelllllllllllle en son miroir!  Et que voit-on dans ce miroir ? Une Emilie Folie tentée par des personnages monstrueux au premier sens du terme. Si j’étais humoriste sélectionnée dans un festival, je n’aimerais pas être programmée après Emilie Deletrez.

Des trois shows présentés sur la scène du Ranelagh, celui d’Emilie Deletrez est peut-être le seul qui a donné un sens, une voix et un corps à l’expression “humour au féminin”. Non que je sois persuadée que l’humour ait un genre et qu’il soit sexué mais je pense que les voies pour l’atteindre en ont résolument un. A travers trois portraits de femmes seules apparemment heureuses, libres et libérées mais derrière le sourire desquelles point une profonde douleur nourrie d’une infinie solitude, Emilie Deletrez parvient à donner l’essentiel de son art :  une écriture tripale et organique. De la douleur de ses personnages à la sexualité insatisfaite ou inaboutie, elle fait de la dérision. Qu’il s’agisse d’ Ilda la Bavaroise étouffante d’amour pour Wolfgang à qui elle offre sa poitrine fellinienne dans un mouvement qui rappelle ceux de la buraliste d’Amarcord ou d’Eve Krawovski, coach en développement personnel qui invite ses patientes à “conscientiser leur vagin et glorifier leur utérus”…Emilie Deletrez réussit l’exploit d’ausculter les profondeurs du corps féminin sans jamais sombrer dans le grave, le graveleux et le vulgaire. Oui, on peut faire parler le corps féminin, en visiter la caverne sans recourir à de l’humour de caserne. Elle fouille et remue le même endroit chez ses trois personnages de femmes frustrées sexuellement mais avec des outils de langage adaptés et surtout une gestuelle jamais très éloignée de celle du cirque et des clowns de rue. C’est toute la différence entre le travail d’un gynéco et celui d’un pornographe-spéléologue. Je le dis car ces temps-ci beaucoup d’humoristes femmes pensent être originales (et subversives ?) en exhibant un sex-toy sur scène. Or, à part Elisabeth Buffet dont on comprend très vite que le bitoniau (surnom qu’elle donne à l’objet) sert à tout sauf à sa fonction première, les autres peinent à rendre drôle sa présence.

Alors Emilie Deletrez peut bien prononcer plusieurs fois le mot vagin sans craindre de heurter les oreilles sensibles parce que ses personnages complètement débridés sont tenus par un texte finement écrit, plus relevé que salé. Pas de dérapage possible chez Emilie Deletrez artiste sensible et généreuse qui pourrait être une arrière-petite fille de WC Fields.

La meilleure des trois artistes de cette soirée nous a d’ailleurs gardé le meilleur du meilleur pour la fin. Un sketch sans parole, tout nu  juste habillé d’une musique de fond nappée de conversations dans un bar où une femme tente de séduire et de rompre avec la solitude. Cette girl aux boucles blondes-comme échappée d’un film de l’âge d’or d’Hollywood-  a sorti les peintures de guerre (un rouge à lèvres pour une bouche prête à (en) croquer jusqu’au sang), les armes de guerre (une robe courte et des talons qui s’entendent mal avec l’alcool) et…elle se lance à la conquête de celui qui voudra bien la (re)garder. Pas un mot dans ce sketch qui relève du burlesque où Emilie Deletrez laisse vivre le tempérament de clown qui l’habite. Pas un mot, mais des musiques qui en disent long sur l’art de séduire de cette fille seule qui tease dans un bar. Ça commence par le Je suis comme je suis, ce poème de Prévert qu’ont chanté Juliette Gréco puis Lio (je n’ai reconnu ni la voix de l’une ni la non-voix de l’autre), suivi de La fille d’Ipanema enchaîné au standard This world today is a mess de Donna Hightower. Pas un mot ne sort de la bouche d’Emilie Deletrez qui a fait se tordre de rire la salle du Ranelagh plutôt glaciale au début de la soirée. Elle ne dit rien et elle dit tout, sa danse, sa démarche, sa tenue et sa mine en disent plus et plus fort que n’importe quelle vanne. Cette fille est audacieuse, brillante et j’espère vraiment qu’elle reviendra à Paris montrer à un tout aussi enthousiaste mais plus large public combien elle est drôle et rare.

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