Rachida Khalil armée pour faire rire.

Rachida Khalil joue La croisade s’amuse au Petit Montparnasse. Il n’y a pas que la croisade qui s’amuse, le public aussi.

Rachida Khalil et Abderahim Khalil.

Voilà une dizaine d’années déjà que Rachida Khalil poursuit son travail de résistante par le biais du rire dont elle a fait son arme favorite. Et si la comédienne refuse l’étiquette par trop caricaturale de «militante politique», elle adopte volontiers celle de «missionnaire». Sa mission ? Dézinguer les idées reçues qui collent à la peau des uns, s’engluent à la barbe et aux turbans des autres et permettent ici et là au racisme et à l’obscurantisme de se répandre. Au-delà des modes et des événements politiques, Rachida Khalil à coups de sketches au ton jubilatoire ne lâche rien de cet humour caustique indissociable chez elle de l’engagement. C’est son fil conducteur depuis ses premiers pas sur scène…

Il y a d’abord eu en 2004,  La vie rêvée de Fatna (dont quelques textes avaient été écrits par Guy Bedos), premier show qui lui a valu la double reconnaissance du public et de la critique, un crochet par la case littéraire avec la publication en 2008 d’un premier roman Le sentier de l’ignorance (Ed. Anne Carrière), avant de revenir sur scène avec L’Odyssée de ta race (2009) puis Une si belle époque (2010)…Aujourd’hui,  Rachida Khalil nous embarque à bord de La Croisade s’amuse qu’elle joue avec bonheur au Petit Montparnasse depuis janvier et qui reprend et creuse ses thèmes de prédilection.

Rachida Khalil et Otman Salil dans le sketch sur la Gaypride.

La brune incendiaire (l’adjectif vaut autant pour son physique que son propos) revient à la charge avec un spectacle original dont la mise en scène mêle intelligemment numéros de danse, saynètes de théâtre et pur one-man-show. Car si elle pose seule sur l’affiche de son spectacle, Rachida Khalil est accompagnée sur scène de deux comédiens et quatre danseuses.

La seule ouverture de sa Croisade est un vrai régal. Vêtue du foulard et de la robe longue à fleurs de son personnage Fatna qui dissimule à peine sa paire de rangers, Rachida Khalil déboule sur scène en défilant au pas de l’oie… aussitôt rejointe par quatre danseuses en bikini à imprimé camouflage chaussées comme elle de lourdes et grosses bottes prêtes à écraser le monde. Le ton est donné ou plutôt martelé : il sera plus militant que militaire pour saluer entre autres le Printemps arabe à travers ce «choc des tétons».

Les intermèdes dansés sont d’habiles ruptures entre chaque sketch et l’alibi parfait pour la comédienne qui a le temps d’opérer plusieurs changements de costumes. Les danseuses ne sont pas là uniquement pour habiter l’espace. Et surtout pas castées pour glamouriser le show en le tirant vers une esthétique empruntée au Crazy Horse. Khalil a voulu faire “glumour”, mot valise de son invention qui mêle le glamour à l’humour. Les corps de ses danseuses deviennent dès lors une sorte d’enseigne à la boutique des revendications et protestations de la comédienne. Le dénudé dit quelque chose de notre époque tant dans sa libération que dans sa frustration. On  applaudit donc vivement  le solo de danse en burqa et, dans un autre tableau, les quatre danseuses glissant sur la scène  pour la  “facho week “, défilé des intégristes dans de splendides costumes signés Jurgen Doering, au rythme de commentaires assassins : ‘Et voici le roger rabbanique, un modèle made in Israël prêt à gagner du terrain”... Le défilé se clôt  sur une note optimiste pour  une catégorie de personnes (chut…je ne dévoile rien) qui a récemment défilé ailleurs que sur des podiums de maisons de couture.

 

Rachida Khalil et son approche “glumour”.

Autour du personnage de Fatna, fil conducteur du show, femme puissante sous son foulard et tour à  tour mère de Khadafi, Ben Ali, Ben Laden et tant d’autres Ben à venir ou disparus  mais aussi guerrière et gardienne des libertés fondamentales, s’agitent d’autres personnages caractéristiques du monde inenchanté mais non désespéré de Rachida Khalil.  Il y a Karima affublée d’un nom de famille à particule, devenue riche en (é)puisant du pétrole et qui œuvre désormais pour les pauvres qu’elle classifie d’une manière absolument cynique et tordante. Il y a Karima Hilton, idole du people du même nom, recommandée par “le guide du Biroutard” et autant “visitée qu’un monument”, Karima Ardant, un transs en route pour la Gaypride, Karima des cités qui “élève ses allocations familiales”. Cette dernière  a appelé son fils Vendredi, non pas en référence à ceux de Defoe ou Tournier mais “parce que c’est le jour du poisson et qu’il avait une tête de Filet O Fish !” . Rachida Khalil  construit habilement  des métaphores et  maîtrise l’art du détournement comme les meilleurs auteurs. Il y a aussi Karima et Mouloud, deux intégrés (désintégrés ?), ex-Bougnoules nouveaux Bougnats, beaufs et racistes qui refont le monde dans le bar d’Emile, lassés par la présence de “Bonobos dans leur immeuble”, de “Noirs aux dents blanches fluo” qu’ils trouvent incorrects de “sourire tout le temps! Vous connaissez un Noir dépressif ? “. Malgré  son ton et la qualité d’interprétation, j’ai trouvé ce sketch-là un peu long dès lors qu’on sait l’intention de son auteur et les valeurs auxquelles elle est attachée. Pas de fausse note en revanche lorsque Fatna et son ami revoient l’histoire de la colonisation en mode inversé. Les Arabes ont tout inventé, les Blancs sont les colonisés…Défilent au Panthéon des grandes figures de cette nouvelle histoire : Nordine Baudelaire, Ben Rimbaud, Tahar Ben Freud…C’est bien la seule fois où l’on peut rire d’une forme de révisionnisme.

Il y a de la férocité et de la tendresse dans le show de Rachida Khalil, de l’intelligence et de la générosité. Du cynisme également qui s’ancre dans des vérités qui ne semblent pouvoir être dites qu’à travers une certaine cruauté. J’ai beaucoup aimé ce spectacle  drôle et ambitieux, riche sans être étouffant et surtout impeccablement mis en scène. Quand je me rappelle l’une des citations finales de Fatna, citation aux accents kunderiens : “La légèreté ça permet l’improbable, la gravité ça permet l’ambition”, je me dis que sa créatrice Rachida Khalil doit sacrément être grave et qu’elle aurait tort de se priver de cette qualité qui fait toute sa force et son intérêt.

 

La Croisade s’amuse de
Rachida KHALIL, mise en scène de Emmanuelle Michelet
, chorégraphies de Djanis Bouzyani. Costumes de Jurgen Doering. Avec en alternance les comédiens Raphaël Pottier, Djanis Bouzyani,
Abderahim Khalil, et Otman Salil
 et les danseuses : Shirley Henault, Chloé Aboulakoul, Coline Omasson, Ambre Capifali, 
Wendy Devaux.

Du mardi au samedi à 19h au Théatre du Petit Montparnasse : 31, rue de la Gaîté, 75014 Paris (Métros Gaîté et Edgar Quinet). Tél: 01 43 22 77 74.

 

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